Juliette Vivier, réalité non identifiée
Son affinité avec la gravure est manifeste : travail à la pointe, minutie d’orfèvre et nuances de noir, de blanc, de gris
lui confère cette facture ouvragée qui célèbre tant sa technique que son rapport au sensible. « Ce qui m’intéresse dans la gravure
c’est la qualité des noirs, la richesse et la diversité des rendus obtenus. J’aime le côté artisanal de ce médium, le rapport à la matière ;
l’encre, le papier et le fait de se salir les mains. ” Juliette Vivier utilise des techniques mixtes de taille-douce pour travailler les niveaux de gris.
Elle créée son propre monde à l’échelle de ses plaques de cuivre. Son territoire est celui du paysage naturel qu’elle envisage insaisissable.
Elle trace sa perspective mentale qu’elle sillonne en même temps qu’elle l’esquisse. Si ces travaux sont plutôt d’ordre figuratif,
l’artiste joue de l’ambiguïté dans la manière d’abstraire ses éléments. Elle se concentre sur l’aspect minéral effaçant tout repère
afin d’extraire la réalité. Il s’agit d’effacer le lieu au profit du mouvement, du volume et du relief.
Pourquoi discerner le ciel venteux du village natal de Goya où elle réalise sa série Nuages ou encore le massif des Ecrins des Alpes
issu de la série Panorama ? L’artiste veut brouiller les pistes. « Panorama a été réalisé d’après des photos du début du 20ème siècle.
Ce sont les premières photographies scientifiques de la chaîne des Alpes qui ne revendiquent aucune esthétique. Je les retranscris
sans ciel ni horizon, c’est une perspective mise à plat qui n’est pas réaliste. Par l’inversion du dessin et la suppression de certains éléments,
en particulier dans les arrière-plans, on peut avoir du mal à reconnaitre les lieux. » En ce sens, la mémoire du réel, à force de projections,
fait basculer l’espace dans le fictionnel, plus tout à fait réel ni complètement imaginaire. Juliette Vivier s’amuse en conscience de cette tension permanente, de cet entre deux. Sur la surface, le flou cohabite avec le détail. Plus que le lieu ou le contexte, c’est l’atmosphère qui est recherchée.
Calme et tumulte s’entrecroisent laissant incontestablement une impression de déroute. Des allers-retours permanents entre éléments de fiction
et de réalité. Les paysages s’inscrivent dans un no man’s land, territoire non identifié. Le cadrage est fasciné, Le noir et blanc solennel,
plus rien ne paraît exister ni même être envisagé en dehors de ce que la nature offre. Les éléments en apparence simples se révèlent complexes,
d’une grande richesse graphique. Une mise en abîme minimaliste qui obéit parfois à l’algorithme laissant une place essentielle au vide
malgré la forme prégnante des éléments. De la nature à l’organique, elle noue le lien. Un rapprochement formel évoqué dans Nœuds,
série labyrinthique de gravures réalisées à partir d’images 3D aléatoires. Une surface à la lisibilité parfaite qui cache sa complexité.
Ses compositions puissantes, fortes bâtissent un univers plastique très personnel qui s’inspire de la réalité pour mieux s’en affranchir.
Caroline Canault