L’Evidence de la Nuit, Juliette Fontaine, 2018

L’Evidence de la Nuit (extrait)
Exposition de Bruno Gadenne, Vassilis Salpistis & Juliette Vivier

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L’Évidence de la nuit évoque en premier lieu le paysage. Les tréfonds du paysage, et peut-être même ceux des êtres qui le traversent, qui s’y cachent ou émergent de ses plis. Son intimité indicible. Son énigme. Si la nuit fait songer naturellement au ciel, son immensité, avec les songes qu’elle convoque, la nuit est ici autant la terre, la forêt, le jardin, le sol lunaire, la grotte, la clairière déflorée, l’épaisseur vaporeuse des nuages, le chant de la source d’eau, le silence des pierres et des végétaux. Le silence habile des bêtes. Le silence de la déambulation des hommes. Elles sont pourtant rares ces présences humaines dans ces « paysages avec figures absentes » (1). Toutes les formes paraissent sortir de l’ombre. Elles vibrent. Comme des fantômes. Comme des âmes incrustées dans la vacance de l’horizon.
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Les teintes ombreuses de Bruno Gadenne, de Vassilis Salpistis et de Juliette Vivier ne sont ni taciturnes, ni bilieuses : un tantinet saturniennes, elles viennent de l’envers du ciel, elles sont d’un avant-monde. D’une organicité personnelle. Bruno Gadenne crée des lumières transgressives à l’heure du loup, Vassilis Salpistis creuse à même la nuit dans un vertige de prestidigitateur, Juliette Vivier la refaçonne en mailles stratifiées et dessinées entre l’ivoire et l’ébène, avec des nuances de gris magnifiques.
Aucune abstraction chez ces trois artistes, même s’il y a une distorsion de la réalité. C’est une philosophie initiale et partagée, réitérée et affermie qui veut que la peinture ou la gravure est à rendre compte de l’inséparabilité du monde et de l’apparence. Dans une dilution du visible – propre à la nuit – chacun apporte un geste révélateur mais irrésolu qui laisse place au regard de l’altérité, un surgissement de formes non closes. Une vision multiple de sens. Une utopie.
(…)
Juliette Vivier est dans la recherche impérieuse d’une adéquation entre le fond et la forme. Ses compositions d’une grande puissance bâtissent des mondes scrupuleux de réalisme pour de suite s’en émanciper. Elle s’en libère en créant du chaos d’une ordonnance singulière dans un paysage organisé, en imaginant des lieux hors du monde. S’ils sont indéterminés, ils sont toujours réalisés avec une précision vertigineuse. Un travail d’orfèvre façonné avec l’humilité d’une artisane mais qui demeure ambitieux dans la complexité de ce savoir-faire. Il y a dans son travail une narration sourde, discrète qui pourtant ne raconte aucune histoire mais révèle la poétique d’un paysage à entrées multiples, ouvert. Un paysage « millefeuille » pour reprendre ses propres mots, à plusieurs strates géologiques dont elle fait une fouille patiente.
Juliette Vivier est dessinatrice et graveuse. Pour autant, elle travaille aussi avec des outils informatiques et introduit une contemporanéité incontestable dans son travail. Elle crée des paysages improbables à partir de logiciels Open Source, tantôt d’animation 3D, tantôt basés sur des algorithmes fractales ou encore utilisés pour faire des statistiques. La gravure chez elle n’est donc pas une fin en soi mais une étape du travail. En passant par le virtuel, ses territoires restent toujours très affectueusement attachés au paysage naturel, autant dans ses gravures que dans ses dessins où un nuage atomique se meut en ramure d’arbre.

Juliette Fontaine

AVANT//POST PAYSAGE, Eglantine Dargent-Guy & François Kenesi, 2016

AVANT//POST PAYSAGE (extrait)
Exposition de Juliette Vivier & Lluis Perico

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Au centre de la question du paysage, son observateur. Il le perçoit en même temps qu’il le façonne par sa présence. Le paysage nous catapulte en avant, nous regardeurs, vers un ailleurs de notre géographie de l’instant.
Les pays, les terres, les lieux ici exposés n’existent pas. Le travail de Lluís Pericó et celui de Juliette Vivier ont en commun de ne représenter aucune réalité. Ce sont des œuvres autant par leurs sujets que par leurs traitements, deux manières distinctes et en apparence tranchées, qui viennent encadrer ce classique de l’histoire de l’art. L’une en gravure, l’autre en peinture, interrogent sur la pertinence et le sens du paysage dans le panorama de l’art plastique contemporain.
Dans les tableaux de Lluís Pericó, l’observateur est placé au sein de ce qui est représenté. Ses peintures fixent un ensemble et proposent au regard une construction qui se tient et se suffit. Aucune matière au ciel, au sol, de part et d’autre ne manque. Il s’agit d’un monde intégral. Un sentiment d’homéostasie, d’équilibre domine l’ensemble de ses compositions. Les estampes de Juliette Vivier présentent un fragment, présage d’une trame à l’infini, comme une métonymie. L’un représente le Tout, l’autre la partie qui figure le Tout.
(…)
Avec sa grande maîtrise des techniques de gravure, Juliette Vivier travaille sur le chaos, le tohu-bohu, un état des choses en amont de toute création. Or dessiner l’aléatoire est impossible à tout être ayant vécu. L’inconscient, les souvenirs, les goûts, l’histoire, la culture, l’apprentissage, les états d’âme influent sur la main du dessinateur. Juliette Vivier choisit de faire appel à l’informatique, capable de donner forme à un hasard exempt de toute influence humaine. Cette délégation de conception à un tiers numérique est un gage de pureté stochastique qui renvoie d’emblée au chaos, un avant-paysage.
S’agit-il d’un tas de poussière ou d’un Everest tout neuf non encore émoussé ? L’absence d’échelle participe de ce vertige. Ici, l’être n’existe pas, ou pas encore. L’observateur est positionné en altitude, à l’extérieur de tout cela. S’il est invité à y entrer, en tant que découvreur d’un nouveau monde, il se doit alors d’être conscient de son action, de son impact. Du fait de sa présence, une fois dedans, il s’agira enfin d’un paysage.(…)

Eglantine Dargent-Guy & François Kenesi

Fumerolles

dessins / encre de chine, poudre de graphite et crayon sur papier brun
15x21cm
2017

Série lunaire 2

Série de 4 paysages virtuels réalisé en 3D déclinés sur 4 fond colorés différents (Dégradé / Phosphorescent / Doré / Quadrichromie)
édition de 10-15 exemplaires + 1/2 E.A. selon les variantes
sérigraphies sur papier, 21x26cm, 2016

Série lunaire 1

Série de 6 héliogravures au grain sur cuivre, réalisées à partir de paysages virtuels en 3D
Chine collé iridescent appliqué sur papier gravure
Edition de 20 exemplaires, 30x40cm, 2016