L’Evidence de la Nuit (extrait)
Exposition de Bruno Gadenne, Vassilis Salpistis & Juliette Vivier

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L’Évidence de la nuit évoque en premier lieu le paysage. Les tréfonds du paysage, et peut-être même ceux des êtres qui le traversent, qui s’y cachent ou émergent de ses plis. Son intimité indicible. Son énigme. Si la nuit fait songer naturellement au ciel, son immensité, avec les songes qu’elle convoque, la nuit est ici autant la terre, la forêt, le jardin, le sol lunaire, la grotte, la clairière déflorée, l’épaisseur vaporeuse des nuages, le chant de la source d’eau, le silence des pierres et des végétaux. Le silence habile des bêtes. Le silence de la déambulation des hommes. Elles sont pourtant rares ces présences humaines dans ces « paysages avec figures absentes » (1). Toutes les formes paraissent sortir de l’ombre. Elles vibrent. Comme des fantômes. Comme des âmes incrustées dans la vacance de l’horizon.
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Les teintes ombreuses de Bruno Gadenne, de Vassilis Salpistis et de Juliette Vivier ne sont ni taciturnes, ni bilieuses : un tantinet saturniennes, elles viennent de l’envers du ciel, elles sont d’un avant-monde. D’une organicité personnelle. Bruno Gadenne crée des lumières transgressives à l’heure du loup, Vassilis Salpistis creuse à même la nuit dans un vertige de prestidigitateur, Juliette Vivier la refaçonne en mailles stratifiées et dessinées entre l’ivoire et l’ébène, avec des nuances de gris magnifiques.
Aucune abstraction chez ces trois artistes, même s’il y a une distorsion de la réalité. C’est une philosophie initiale et partagée, réitérée et affermie qui veut que la peinture ou la gravure est à rendre compte de l’inséparabilité du monde et de l’apparence. Dans une dilution du visible – propre à la nuit – chacun apporte un geste révélateur mais irrésolu qui laisse place au regard de l’altérité, un surgissement de formes non closes. Une vision multiple de sens. Une utopie.
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Juliette Vivier est dans la recherche impérieuse d’une adéquation entre le fond et la forme. Ses compositions d’une grande puissance bâtissent des mondes scrupuleux de réalisme pour de suite s’en émanciper. Elle s’en libère en créant du chaos d’une ordonnance singulière dans un paysage organisé, en imaginant des lieux hors du monde. S’ils sont indéterminés, ils sont toujours réalisés avec une précision vertigineuse. Un travail d’orfèvre façonné avec l’humilité d’une artisane mais qui demeure ambitieux dans la complexité de ce savoir-faire. Il y a dans son travail une narration sourde, discrète qui pourtant ne raconte aucune histoire mais révèle la poétique d’un paysage à entrées multiples, ouvert. Un paysage « millefeuille » pour reprendre ses propres mots, à plusieurs strates géologiques dont elle fait une fouille patiente.
Juliette Vivier est dessinatrice et graveuse. Pour autant, elle travaille aussi avec des outils informatiques et introduit une contemporanéité incontestable dans son travail. Elle crée des paysages improbables à partir de logiciels Open Source, tantôt d’animation 3D, tantôt basés sur des algorithmes fractales ou encore utilisés pour faire des statistiques. La gravure chez elle n’est donc pas une fin en soi mais une étape du travail. En passant par le virtuel, ses territoires restent toujours très affectueusement attachés au paysage naturel, autant dans ses gravures que dans ses dessins où un nuage atomique se meut en ramure d’arbre.

Juliette Fontaine